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PORTRAIT : Marie-Suzanne de Ponthaud, architecte en chef des Monuments historiques

24/09/2020

PORTRAIT : Marie-Suzanne de Ponthaud, architecte en chef des Monuments historiques

« Nous avons préservé l’authenticité du lieu »

Marie-Suzanne de Ponthaud est architecte en chef des Monuments historiques. Son cabinet s’est chargé de la conception et de la direction des travaux de restauration de l’Île Vierge. Un chantier hors norme, même pour cette passionnée, rompue aux interventions les plus pointues sur des ouvrages classés.

Quels sont les édifices classés sur l’Île Vierge et pourquoi ?

L’ancien phare de 1845 est classé, comme le nouveau phare, qui date d’une cinquantaine d’années plus tard, l’ancien logement des gardiens, les murs et terrains d’assiette, le môle et son soutènement, ainsi que la longère accolée au mur. Le classement date du 23 mai 2011, au moment d’une campagne de protection des phares bretons, intervenue après la disparition des derniers gardiens en 2010 et l’automatisation des lanternes. N’étant plus occupés, les phares risquaient de se détériorer plus rapidement. Certains ont donc été choisis pour être protégés au titre des Monuments historiques : le plus grand phare d’Europe à l’Île Vierge (82,5 m), le plus ancien de Bretagne à Ouessant (construit par Vauban), etc. En plus, le site de l’Île Vierge comprend deux ouvrages d’époques différentes, ce qui est assez original.

Quels travaux ont été réalisés ?

Pour tous les travaux, notre objectif était double : empêcher la dégradation des ouvrages très exposés, et obtenir une esthétique proche de l’origine pour préserver la beauté du site. Nous avons commencé par le môle et la cale, indispensables pour approvisionner le chantier. Pendant plus de 150 ans, le massif avait été battu par la pluie qui a lessivé les mortiers en s’infiltrant jusqu’au cœur des maçonneries. Nous avons dû faire appel à des spécialistes du génie maritime. En parallèle, des travaux de curage de l’intérieur du logement ont permis de décaper une couche de 8 cm de ciment qui emprisonnait les maçonneries, les empêchant de respirer. Nous avons aussi restitué la couverture d’origine, et réalisé un habillage des bandeaux de pierre avec du cuivre pour limiter les infiltrations.

Certains travaux sont très spécifiques quand il s’agit d’un phare ?

Bien sûr, par exemple nous avons déposé la lanterne en cuivre, fer et verre du vieux phare pour la faire restaurer dans un atelier spécialisé près de Rennes. L’entreprise a envisagé de la réinstaller sur le phare par hélicoptère, mais ce n’était pas possible à cause des oiseaux qui nichent sur l’île. Finalement, il a fallu transporter en barge la lanterne en pièces détachées pour tout assembler sur place à 30 mètres de hauteur… Autre exemple avec les huisseries : nous avons réinstallé le système d’époque, celui de doubles-fenêtres. Une fenêtre vitrée extérieure, une autre à l’intérieur pour se protéger du vent et de la pluie. Des spécificités qui nécessitent des compétences particulières. Je remarque d’ailleurs que tous nos artisans sur ce chantier sont bretons, et presque tous du Finistère !

À terme, les visiteurs auront donc accès au vieux phare, ce qui n’était pas prévu à l’origine.

Oui, nous avons souhaité profiter de ce projet pour rénover tout le phare, pas seulement la partie basse, et la CCPA a milité pour le rendre accessible. Après réfection de l’escalier et installation d’un garde-corps, il est possible d’y accéder en passant par le gîte. Je me disais au début qu’il n’y avait pas d’intérêt à monter dans le petit phare quand on peut aller dans le grand… Mais finalement, la vue est différente, plus rasante, et à 360°. On voit très bien l’île, les rochers, et c’est magnifique.

Il est toujours impératif de revenir à l’aspect d’origine de l’ouvrage ?

Il faut savoir s’adapter. Concernant l’aspect du fût du vieux phare, nous avons constaté qu’il était laissé en pierre apparente de granite, sur les photos d’origine. Il a sans doute assez rapidement été peint en blanc. Nous avons beaucoup discuté avec les différents intervenants du chantier, finalement nous l’avons repeint d’un blanc éclatant : « le petit phare blanc » est connu des marins qui l’utilisent comme amer. Et puis, nous avons dû tenir compte des conditions particulières de ce chantier : sur une île isolée, sans eau ni électricité sur place, sans possibilité de stocker les tonnes de gravats générés par les travaux. Le chantier a été très compliqué, mais nous avons appris beaucoup de choses… Et nous avons su rester dans la logique de l’île en préservant son autonomie : nous maintenons la continuité historique du lieu, tout en participant à son caractère exceptionnel, notamment pour les futurs locataires du gîte.

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